Les ETFs « spot » sur Bitcoin et Ethereum ont installé une passerelle simple entre les marchés boursiers traditionnels et les crypto‑actifs. Pour un investisseur coté, acheter une part d’ETF ressemble à l’achat d’une action ; derrière cette apparente simplicité se cache pourtant une mécanique industrielle précise, avec ses intermédiaires, ses fenêtres horaires, ses méthodes d’exécution et ses coûts. Cet article explique, en français clair, comment les émetteurs obtiennent les BTC et les ETH qu’ils détiennent et ce que cela implique pour les cours.
Le fil rouge : de l’ordre d’un investisseur à des coins chez le dépositaire
Lorsqu’un investisseur passe un ordre sur la Bourse pour acheter des parts d’un ETF Bitcoin ou Ethereum, il intervient sur le marché secondaire. Le prix de la part peut alors s’écarter légèrement de la valeur des actifs détenus par le fonds (la NAV, pour Net Asset Value). Pour que cet écart reste faible, un petit nombre d’institutions agréées — les Authorized Participants (APs) — peuvent créer ou annuler des parts directement avec l’émetteur sur le marché primaire.
Deux chemins existent :
- Création “cash” : l’AP livre de la monnaie fiduciaire au fonds. L’émetteur, via son agent d’exécution (un prime broker crypto), convertit ce cash en BTC ou ETH auprès de plateformes connectées (bourses crypto réglementées et desks OTC). Les coins achetés sont ensuite transférés au dépositaire (custodian) pour être conservés en sécurité.
- Création “in‑kind” : l’AP se procure lui‑même les coins sur le marché et les livre directement au dépositaire contre de nouvelles parts.
En miroir, lors des rédemptions, on procède à l’inverse : l’AP reçoit du cash (rédemption cash) ou des coins (rédemption in‑kind) en échange des parts qu’il rend à l’émetteur.
Dans la plupart des structures américaines actuelles, la création cash domine, car elle standardise les flux et centralise l’exécution chez un agent d’exécution mandaté par l’émetteur (typiquement un acteur comme un grand exchange disposant d’une offre « prime », genre coinbase). Mais la part de l’in‑kind a tendance à progresser lorsque la profondeur de marché s’améliore et que les APs souhaitent internaliser davantage l’arbitrage.
Par quels intermédiaires passent‑ils ?
Trois familles d’acteurs forment la colonne vertébrale du dispositif :
- Le dépositaire (custodian) : il garde les coins. Il opère des coffres « cold » multi‑signature, gère les clés privées et applique des contrôles opérationnels stricts. C’est la brique « sûreté ».
- L’agent d’exécution (prime execution/prime broker) : c’est lui qui achète et vend les coins pour le compte du fonds lorsque les créations/rédemptions se font en cash. Il a accès à plusieurs venues (bourses, OTC) et à des outils d’algorithmes d’exécution pour limiter l’impact de marché.
- Les Authorized Participants (APs) : grandes maisons de trading habilitées à créer/annuler des parts. Elles arbitrent en permanence l’écart entre le prix de la part en Bourse et la NAV, ce qui maintient l’ETF « collé » à sa valeur fondamentale.
Selon les émetteurs, des banques de conservation « traditionnelles » peuvent aussi intervenir pour la trésorerie (cash custodian) et pour l’administration (calcul de la NAV, tenue des registres, reporting).
Comment et à quel prix s’effectuent les achats ?
La boussole quotidienne, c’est la NAV. Elle est calculée à partir d’un indice de référence bien défini (par exemple une moyenne de prix pondérée et robuste autour de 16 h 00 heure de New York, souvent appelée le « fixing » américain). L’objectif opérationnel consiste à transformer du cash en coins à un coût total (prix d’exécution + frais) le plus proche possible de cette valeur de référence.
Dans la pratique, l’agent d’exécution répartit les ordres sur plusieurs canaux :
- des desks OTC (Un desk OTC (Over-The-Counter) est une structure ou un service spécialisé dans l’achat et la vente de crypto-actifs) pour des blocs importants avec un slippage (Le slippage est la différence entre le prix attendu d’un ordre et le prix réel auquel il est exécuté, causée par la variation rapide de l’offre et de la demande pendant la transaction) borné et une faible visibilité publique ;
- des bourses crypto liquides, en utilisant des algorithmes TWAP/VWAP pour lisser l’impact (Les algorithmes TWAP (Time-Weighted Average Price) et VWAP (Volume-Weighted Average Price) servent à exécuter un gros ordre progressivement pour se rapprocher du prix moyen du marché, le premier en le répartissant dans le temps, le second en le calant sur les volumes échangés.) ;
- parfois des paniers d’ordres (basket trades) afin d’encoder précisément le nombre de coins correspondant aux baskets publiés par l’émetteur.
Quand achètent‑ils ? Les fenêtres qui comptent
Même si Bitcoin et Ethereum cotent 24/7, la chaîne de production d’un ETF, elle, est rythmée par la journée financière américaine. Les APs ont des heures limites (cut‑offs) pour soumettre leurs ordres de création/rédemption. L’émetteur cible le fixing de 16 h 00 (ET) pour calculer la NAV, et une part notable des ajustements d’exposition s’organise autour de cette fenêtre.
Conséquence : l’activité a tendance à se concentrer en semaine et à se raréfier le week‑end, période où il n’y a ni clôture boursière ni créations primaires (sauf cas spécifiques). Quand des flux massifs surviennent (in/out), ils se répercutent donc surtout au voisinage du close US.
Comment chaque acteur se rémunère‑t‑il ?
- L’émetteur (le sponsor de l’ETF) perçoit des frais de gestion annuels exprimés en pourcentage des actifs (par exemple, quelques dizaines de points de base). Ces frais couvrent l’ingénierie produit, la conformité, l’admin, la distribution, etc.
- Les APs et teneurs de marché gagnent l’écart de marché (spreads) et les opportunités d’arbitrage liées à la création/rédemption. Leur rôle est comparable à celui des market‑makers sur les ETFs actions/obligations.
- Le dépositaire facture la garde (sécurité, opérations sur wallets), généralement sous forme de basis points et/ou de forfaits (Les basis points (ou points de base) sont une unité de mesure financière où 1 basis point = 0,01 %, donc 100 basis points = 1 %).
- L’agent d’exécution facture l’exécution (commission explicite et/ou marge intégrée dans les prix OTC). Selon les contrats, les coûts sont dégressifs avec les volumes et incluent parfois des clauses de « best execution » (La best execution désigne l’obligation pour l’intermédiaire d’exécuter un ordre dans les meilleures conditions possibles pour le client, en optimisant prix, rapidité et coûts).
Quel impact sur les cours de BTC et d’ETH ?
Trois effets dominent :
- L’effet‑flux : quand les entrées nettes dans les ETFs sont élevées, l’agent d’exécution doit acheter des coins en quantité. À court terme, cela ajoute de la demande au carnet d’ordres et peut soutenir les prix. Inversement, des sorties concentrées peuvent peser, surtout si elles coïncident avec des creux de liquidité.
- L’effet‑horloge : la concentration des achats autour du close US (22H ou 23H en France selon heure hiver / été, minuit à Maurice) crée des points chauds de volatilité et de volume. Les traders intraday surveillent ces fenêtres, où l’impact marginal d’un ordre donné peut être différent du reste de la journée (L’impact marginal désigne l’effet supplémentaire qu’un ordre isolé exerce sur le prix du marché, c’est-à-dire à quel point ce seul ordre fait bouger le cours).
- L’effet‑arbitrage : l’activité des APs resserre l’écart entre le prix de la part et la NAV, ce qui contribue à un prix de référence plus “propre” pour l’écosystème. Au fil du temps, cela peut améliorer la profondeur et la qualité des carnets sur les venues (plateformes, bourses, dark pools, desks OTC) les plus connectées (celles qui disposent du plus grand nombre de connexions avec d’autres plateformes et sources de liquidité).
A retenir
- Un ETF crypto est une usine à transformer du cash en coins (et l’inverse) avec un dépositaire pour la sécurité, un agent d’exécution pour l’achat/vente, et des APs pour l’arbitrage primaire.
- Le prix visé par cette chaîne est arrimé à un indice de référence (souvent autour de 16 h 00 heure de New York).
- La facture totale se compose de frais visibles (TER) et de coûts implicites d’exécution.
- Les flux des ETFs influencent le marché, surtout à court terme et autour des fenêtres américaines, sans toutefois dicter à eux seuls la tendance.