Orchestration par les banques d’investissement
Les banques d’investissement spécialisées (comme Evercore, Goldman Sachs, ou Lazard) jouent un rôle central en tant qu’intermédiaires neutres. Elles sont mandatées par le gestionnaire de fonds (GP) pour orchestrer le processus, mais leur mission inclut théoriquement la maximisation de la valeur pour tous les stakeholders, pas seulement le GP.
Le processus suit généralement un calendrier de 8-12 semaines :
- Semaines 1-2 : Préparation des documents de marketing (teaser, memorandum confidentiel)
- Semaines 3-4 : Identification et contact initial avec les investisseurs potentiels
- Semaines 5-8 : Due diligence et visites de sites par les candidats
- Semaines 9-10 : Soumission des offres indicatives puis finales
- Semaines 11-12 : Négociation finale et sélection
Participants au processus d’enchères
Les investisseurs secondaires spécialisés constituent le cœur du marché acheteur :
- Fonds secondaires dédiés : Lexington Partners, Coller Capital, HarbourVest, qui gèrent collectivement plus de 200 milliards de dollars
- Divisions secondaires de grandes institutions : Blackstone Secondary Opportunities, Goldman Sachs Asset Management
- Investisseurs institutionnels directs : Fonds de pension et compagnies d’assurance investissant directement
- Nouveaux entrants : Family offices et fonds souverains développant des capacités secondaires
Mécanisme de découverte des prix
La théorie économique derrière ce processus repose sur l’hypothèse que la concurrence entre multiples acheteurs sophistiqués aboutira à un prix équitable reflétant la vraie valeur des actifs. En pratique, 5 à 15 investisseurs participent généralement aux enchères finales.
Le processus se déroule en plusieurs tours :
- Offres indicatives : Les candidats soumettent des fourchettes de prix basées sur des informations limitées
- Phase de due diligence approfondie : Accès aux data rooms, entretiens avec le management, analyses financières détaillées
- Offres finales contraignantes : Prix fermes avec conditions limitées, généralement valables 30-60 jours
Asymétries d’information critiques
Les investisseurs existants (LP du fonds d’origine) font face à des défis informationnels majeurs :
- Ils doivent décider de leur participation avant de connaître le prix final déterminé par les enchères
- Ils n’ont pas accès au même niveau de due diligence que les nouveaux investisseurs
- Le GP peut partager des informations privilégiées avec les acheteurs potentiels pour maximiser le prix
Cette asymétrie crée ce que les académiques appellent un “problème du passager clandestin” : les LP existants bénéficient du travail de due diligence des nouveaux investisseurs sans en supporter les coûts.
Limites et critiques du processus
Conflits d’intérêts structurels
Le GP contrôle entièrement le processus tout en ayant des intérêts potentiellement divergents :
- Il peut favoriser certains investisseurs avec lesquels il souhaite développer des relations à long terme
- Il peut structurer la transaction pour maximiser ses propres revenus plutôt que le prix pour les LP sortants
- Il peut utiliser des informations privilégiées pour influencer le timing et les conditions
Limites de la concurrence
La “concurrence” peut être artificielle pour plusieurs raisons :
- Le marché des secondaires est concentré avec un nombre limité d’acteurs majeurs
- Les investisseurs peuvent être découragés par la complexité et les coûts de due diligence
- Certains actifs peuvent ne pas être attractifs pour la majorité des investisseurs secondaires
Exemple concret : En 2023, environ 30% des processus d’enchères pour fonds de continuation ont abouti à moins de 3 offres finales, remettant en question l’efficacité du mécanisme de découverte des prix.
Manipulation potentielle des valorisations
Les GP peuvent influencer les prix par plusieurs biais :
- Sélection temporelle : Lancer le processus quand les conditions de marché sont favorables
- Packaging stratégique : Combiner des actifs attractifs avec d’autres moins désirables
- Information sélective : Mettre en avant certains aspects positifs tout en minimisant les risques
Alternative aux enchères : négociation directe
Environ 20-25% des fonds de continuation évitent le processus d’enchères formel et procèdent par négociation directe avec un seul investisseur. Cette approche :
- Réduit les coûts de transaction et accélère le processus
- Élimine la concurrence et peut aboutir à des prix moins favorables
- Soulève encore plus de questions sur l’équité des valorisations
Impact sur l’équité des prix
La recherche empirique montre des résultats mitigés sur l’efficacité de ces enchères :
- Les prix obtenus sont généralement 5-15% supérieurs aux valorisations internes du fonds d’origine
- Cependant, ces valorisations internes peuvent être volontairement conservatrices pour faciliter le processus
- Les nouveaux investisseurs obtiennent souvent des conditions préférentielles (frais réduits, clauses de protection) non disponibles aux LP réinvestisseurs
Conclusion sur ce mécanisme
En théorie, le processus d’enchères formel devrait garantir une découverte de prix équitable par la concurrence entre investisseurs sophistiqués. En pratique, les nombreux conflits d’intérêts, asymétries d’information, et limites structurelles remettent en question son efficacité.
C’est pourquoi de nombreux critiques considèrent que ces “enchères” constituent davantage un exercice de légitimation qu’un véritable mécanisme de marché, contribuant aux préoccupations sur la nature potentiellement artificielle des valorisations dans les fonds de continuation.